Enseigner la chirurgie plastique

en situation précaire

Il existe en France, et depuis longtemps, une longue tradition d’aide envers les pays en voie de développement. L’aide humanitaire a toujours été très importante notamment dans le domaine de la santé. L’action des nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) s’est beaucoup spécialisée ces dernières années dans ce domaine médical. Interplast-France / Chirurgie sans frontières est une petite organisation non gouvernementale française spécialisée dans la chirurgie plastique dans les pays en voie de développement. Elle prend en charge toutes les pathologies qui nécessitent un geste de chirurgie réparatrice. Notre ONG s’est très vite orientée dans la chirurgie plastique en situation précaire et l’enseignement de cette varainte de la chirurgie plastique.

            Pour comprendre comment une petite ong française s’est orienté vers la chirurgie nomade et son enseignement, il convient de rappeler certains objectifs premiers.

Depuis 1992, Interplast-France / Chirurgie sans Frontières a très vite fait le choix d’opérer les patients dans leur pays d’origine plutôt que de les faire venir en France et, cela, pour plusieurs raisons: plus grand nombre de patients opérés, coût financier moindre, patient opéré dans son environnement, formation dispensée sur place, etc.  

Depuis 2003, nous avons travaillé sur le concept de « chirurgie plastique en situation précaire » en mission. Ensuite et après avoir travaillé sur cette notion de précarité, nous sommes passés à une évolution supplémentaire : « la chirurgie plastique nomade ». A travers notre pratique, nous avons ajusté notre activité aux réalités du terrain. La chirurgie version nomade s’est imposé à nous pour mieux répondre à la demande avec le plus d’efficacité et le plus d’humanité possible. Dans la chirurgie plastique nomade, nous avons adapté les indications et les techniques à l’environnement des missions. Il fallait partager tout cela…

 

            Nous avons créé dès 2004 à Paris un Diplôme InterUniversitaire (DIU) de chirurgie réparatrice en situation précaire (ww.chirurgieplastiquehumanitaire.net) pour partager notre expérience soit avec les confrères européens qui désiraient partir opérer en mission, soit avec les confrères originaires des pays en voie de développement qui désiraient avoir une formation adaptée à leurs futures conditions de travail. Le succès de ce DIU depuis 10 années à Paris nous a conduits à l’exporter à Madagascar depuis 2008 où cette formation est intégrée au diplôme de chirurgie essentielle. Nous avons fait le choix de proposer des techniques plus simples mais adaptées à la réalité du terrain plutôt que de dispenser une formation sophistiquée en chirurgie plastique mais qui sera peu réalisable dans ce contexte.

            Nous avons également orienté notre formation sur les agents de santé des dispensaires, à savoir les médecins généralistes et les infirmiers. Nous enseignons aux agents de santé, au village, des gestes simples comme le lavage des plaies avec de l’eau et du savon, l’incision d’un abcès, le parage d’une nécrose. Nous pensons que les gestes de base, comme le parage, la greffe de peau ou la plastie en Z, doivent être également enseignés aux chirurgiens de terrain. La formation d’un chirurgien local à la chirurgie plastique dans nos centres hospitaliers universitaires européens reste fondamentale mais, selon notre expérience, elle ne résout pas l’accès aux soins en zone rurale aujourd’hui. En pratique, le chirurgien que l’on va former restera en CHU en zone urbaine et n’ira jamais s’installer en brousse.

 

Aujourd’hui, et pour répondre encore mieux à cette formation, nous avons débuté une Ecole de Chirurgie Plastique Essentielle au Tchad. Pourquoi créer une école de chirurgie plastique essentielle en Afrique ?

La demande chirurgicale des pays en voie de développement est énorme. Nous le savons. Pour les populations locales, les systèmes de santé ne répondent pas toujours à cette demande. Les nombreuses ONG chirurgicales humanitaires interviennent pour essayer de répondre à ce grand besoin en organisant des missions chirurgicales. Les ONG proposent de traiter les patients de ces pays avec des moyens sophistiqués et un personnel très qualifié originaire de pays industrialisés. Elles peuvent proposer des interventions de chirurgie générale ou des interventions dans des domaines très spécialisés comme la chirurgie de la cataracte, la prise en charge de la fistule vésico-vaginale ou la reconstruction des fentes labio-palatines. Or les moyens proposés, aussi sophistiqués soient-ils, ne sont pas toujours adaptés aux patients, aux pathologies et à l’environnement d’exercice. De surcroit, la formation des chirurgiens européens est de moins en moins adaptée aux pathologies rencontrées sur le terrain. Elle est certes très spécialisée mais de moins en moins appropriée aux situations rencontrées.

Les ONG européennes s’adaptent principalement de deux façons :

  • Certaines missions adaptent leurs projets aux missions. Nous pouvons observer des projets très élaborés mais complètement inadaptés dans des régions où, par exemple, le problème premier reste l’accès à l’eau. Par exemple, une mission peut proposer une formation en coelioscopie dans une région où l’accès à électricité fait défaut et où la formation première devrait se focaliser sur la prise en charge plus simplement d’une péritonite…
  • D’autres ONG adaptent leurs actions aux missions et doivent former les chirurgiens humanitaires à leurs futures pratiques sur le terrain. Or leur formation se fait dans un environnement et avec des moyens qui seront difficilement transposables sur les futurs lieux d’action. D’autre part, les nouvelles générations de chirurgiens européens qui partiront en mission ont une formation trop spécialisée et ne sont plus formés aux interventions dites de base en chirurgie…

En pratique, nous sommes aujourd’hui devant une situation paradoxale où les futurs chirurgiens européens qui partirons en missions humanitaires auront une formation trop spécialisée et inadaptée aux pathologies observées sur le terrain et où les chirurgiens africains qui possèdent une bonne formation de chirurgie générale n’interviendront plus sur leurs propres patients.

 

Nous avons donc commencé une école de chirurgie plastique essentielle à Moundou, au sud du Tchad, pour former les chirurgiens africains localement. Ils pourront répondre à la demande chirurgicale locale, avec une formation ajustée aux pathologies observées et avec des techniques chirurgicales très spécialisées mais adaptées à l’environnement d’exercice du pays.

Nous avons inversé le raisonnement :

  1. Identifier la pathologie chirurgicale spécifique, et locale, à traiter.
  2. Proposer la meilleure solution thérapeutique à cette pathologie et la plus appropriée aux conditions locales d’exercice.
  3. Proposer une formation chirurgicale réalisable selon les conditions d’exercice
  4. Proposer aux chirurgiens locaux :
  5. Une formation chirurgicale correspondant aux conditions d’exercice,
  6. De développer, et d’imaginer, les moyens thérapeutiques les plus adaptés à leurs patients et à leurs environnements.
  7. Proposer aux chirurgiens européens :
  8. Une formation chirurgicale locale pour qu’ils puissent comprendre les conditions réelles d’exercice,
  9. De découvrir des pathologies méconnues,
  10. Et d’apprendre des techniques adaptées à l’environnement local.

Ce projet ne veut en aucun cas se substituer à la formation universitaire du pays qui reste le garant de la formation de ses médecins. Cette école propose simplement de revenir à l’essentiel : la formation d’un chirurgien commence par l’apprentissage de son art sur des patients et les patients qui relèvent de la chirurgie plastique en situation précaire sont en Afrique !

 

La demande en chirurgie plastique est énorme dans les pays en voie de développement et 80% de cette demande s’observent en zone rurale. Nous avons donc volontairement orienté nos missions en dispensaire et la version nomade de nos missions a permis de répondre parfaitement à ce besoin. Cette aventure chirurgicale a modifié notre façon de travailler. Nous avons adapté nos techniques à l’environnement et tout cela dans le respect des traditions locales. Pour partager notre expérience, et faciliter l’enseignement, nous avons créé un diplôme universitaire de chirurgie plastique en situation précaire en France et débuté une école de chirurgie plastique essentielle au Tchad.

Si un chirurgien veut partir en mission de chirurgie plastique nomade, il doit être complètement autonome et connaître, au minimum, trois techniques : les plasties cutanées, les greffes de peau et le lambeau de grand dorsal. Si une seule technique doit être enseignée, en case de santé, ce sera le parage chirurgical.

Selon notre expérience, la chirurgie plastique en situation précaire devrait être enseignée dans tous les centres hospitaliers des pays en voie de développement et la chirurgie plastique nomade semble être la seule façon de répondre, aujourd’hui, à la forte demande des populations rurales. PK

 

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